Merci pour cette grève…

Publié: 14 décembre 2014 dans Déambulations
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Lina m’avait demandé de lui laisser la jouissance de la maison pour la deuxième fois en deux mois. Un bonheur, je contribuais à sa vie sociale avec une probabilité non négligeable de ré-amorcer la mienne. Mark nous avait supportés, ma grisaille et moi, le mois précédent, je ne lui referais pas l’embrouille.

Envol

Ça aurait pu être la fin de l’histoire. L’histoire cent fois rappelée du moment de solitude, de la torpeur salutaire de l’ennui et du cocon dans des draps de la clientèle multiple d’un hôtel de la banlieue lointaine. Mais ça ne l’était pas.

Le billet A/R Paris-Amiens n’avait pas résisté à l’annonce le mercredi précédent de la grève des trains prévue le week-end concerné. J’arrivais le jeudi matin devant mon poste de travail et, avant même de me mettre à justifier mon traitement mensuel, je cherchais sur ces fameux moteurs de recherche en ligne un moyen excitant de fuir cette promiscuité propre aux jours de grève ferroviaire. Et l’étonnement vint avec un billet d’avion pour Tunis, Tunis où vit une princesse d’intelligence, mon amie de cœur numérique. Mais c’est aussi la ville d’un certain colonel de Ben Ali – communiste vrai aux espoirs prêts à être de nouveau déçus par une jeune révolution qui promet déjà – un ami précieux de Mark, à rencontrer dès le mois prochain. Par la miraculeuse intervention protectrice de mon meilleur ami, je me trouvais dès midi, pour l’embarquement à 16h40, devant le comptoir de Tunisair agitant mon premier billet numérique d’avion devant les yeux magnifiques de l’hôtesse.

      « C’est parfait, j’ai trouvé votre réservation.
      – …, m’exclamais-je.
      – Il me faut votre passeport, maintenant, monsieur.
      – Ah ? Je n’ai que ma carte d’identité…, je murmurais.
      – Pas grave, donnez-moi votre réservation d’hôtel.
      – Ah mais, je ne vais pas dans un hôtel, je suis hébergé par un ami, vous voulez son adresse, son téléphone, ses coordonnées, quoi…
      – Ça ne va pas être possible, il faut un passeport pour aller en Tunisie et il y a des facilités pour les ressortissants français à condition qu’ils aient une réservation d’hôtel. Vous pouvez descendre au comptoir de ‘Nouveaux voyages’ ou ‘Aller ! Voyages’ pour en réserver une, vous avez le temps.
      – Mais puisque je vous dis que je n’en ai pas besoin puisque je vais dormir chez mes amis. Ça va me coûter une hanche et je n’en profiterai même pas.
      – Je suis désolée, mais sans passeport je ne peux pas vous faire monter dans l’avion si vous n’avez pas de réservation d’hôtel. Je vous donne notre fax et vous demandez à l’hôtel de vous y envoyer votre réservation.
      – …, me dépitais-je. »

Le bad trip en bandoulière, j’errais comme une âme en peine de Starbucks en Brioche dorée avant de me résoudre à solliciter mon hôte tunisois inconnu. Une demi-heure plus tard, je produisais mon effet et ma réservation d’hôtel miteux à Hammamat devant l’hôtesse au regard de braise.

        « Tu devais commencer à savourer ton voyage, non ?, me demandait Yassi qui croquait son nougât chinois.
        – « Mais, monsieur, vous le faites exprès ? » me demande l’hôtesse au comptoir en brandissant ma carte d’identité. Un petit frisson me chatouillait le dos comme si je savais ce qu’elle allait dire. « Elle est périmée ! Votre carte d’identité est périmée depuis avril ! » C’est ça. C’est ça que mon esprit gardait en frissonnant dans mon dos. Tu vois, Yassi, c’était ça que j’avais zappé dans ma folie douce, tu te souviens d’avril ? Quand à la fin d’un samedi, ma hanche s’était fracassée sur le béton de ton garage, je faisais l’idiot en rollers. J’avais oublié de refaire ma carte, à cause de cette chute !
        – Alors ?
        – Ben… après quelques rappels à la loi – « les cartes d’identité sont prolongées de 5 ans, en France », « oui mais, ça, c’est en France et là vous allez en Tunisie » « la carte d’identité nationale est valable toute la vie en France donc c’est bien pour SORTIR qu’elle est prolongée… », etc. – j’ai signé une décharge qui a été acceptée par le commandant de bord qui a bien voulu m’emmener jusqu’à Tunis dans mon état de mauvais citoyen.
        – Et tu es parti, alors, finalement ? »

La dernière contrariété était venue de mon cadeau introduit dans ma jambe le jour de mes 56 ans qui faisait sonner le portail de sécurité de la police des frontières une heure avant de poser le pied dans la carlingue de La Galité. A Carthage, Ahmed grisonnant était venu dans la voiture de sa fille me chercher pour me raconter en route qu’on venait de lui retirer sa voiture officielle avec laquelle son chauffeur avait accompagné Mark au mariage, de sa fille précisément.

Ce fût un temps de douceur, de lumière, de soleil, d’amitiés et de pur bonheur, loin et près en même temps de l’agitation vaine des jours. Des dorades fines aux dîners, des soupes de pois chiches mais pas tant que ça, des chichas dans la Medina, des graffitis libertaires devant l’ambassade de France devenue fortification et un magnifique luminaire dans la mairie déserte par la grâce de la carte de colonel à la retraite de mon hôte.

Lumière

Je suis sur le perron d’Ahmed, dans la tiédeur du soir la caserne, tranquille maintenant, ressemble à la cité du cinéma à Epinay comme je me la remémore. De la fumée danse autour de moi emportant et rapportant la lumière de Tunis, les murmures tendres et si fins de ma tendresse perdue ce week-end pour combien de temps ? L’après-midi s’est déroulée dans le quartier des Délices, haut au-dessus de la baie, grouillant de touristes esquivés dans un café à l’ancienne, filles voilées fumant la chicha, amoureux de la révolution se bécotant en soufflant leurs fumées odorantes entre les lèvres de leur béguin, tunisoises et tunisois punk anarchistes avec leurs thés aux pignons au cœur du tapis qui court tout autour de la taverne. En bon architecte cultivé qu’il est Ahmed me montrera des bâtisses de milliardaires au milieu de la misère, des palais volés au peuple et revolés par des brigands pharisiens, des arches à double centre et des murs qui décorent mais n’enferment pas, des andalouses… Et pour un détour au cirque pour enfants, il nous a valu une escapade au cœur des paradoxes de la révolution.

        « Tu te souviens, Yassi, du week-end où je voulais t’emmener à Strasbourg ? Y’avait eu la grève, tout ça ?
        – Oui bien sûr, c’est ce qui t’a permis d’entendre une amie suggérer d’aider Fred et de passer à l’acte. Eh bien ?
        – C’est ça, c’est précisément ça : je suis passé à l’acte,
        – Et ?
        – Et j’ai réalisé, le soir sur le perron, à Tunis devant la caserne – parce que tu te souviens aussi qu’en fait j’étais allé voir Ahmed ? – que j’étais passé à l’acte : je t’ai aimée, vraiment, dans ma chair, mes neurones, mon ventre, je t’ai aimée, pour de bon, pour de vrai comme nous disent les enfants, pour la première fois. Pour la première fois, j’ai réalisé que je t’aimerai toujours que tu sois ma meilleure amie, mon amie de cœur, mon amie même comme mon ennemie je crois. Peu m’importe qui tu es, je t’aime Yassi. »

Amis

On avait permis à 27 amies et amis, en une semaine, de leur donner presque 500 F.

« C’étaient encore des francs ? »

commentaires
  1. Le CPE dit :

    T’es un vache de sacré coquin avec des mots de poète.
    Pinaize Bruno, tu vas pouvoir t’éditer toi même.

  2. Déborah Persin dit :

    J’en veux encore des textes comme ça ! Dis, tu veux bien?

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